Le projet de rétablissement du caractère maritime du Mont Saint Michel nécessite de se référer aux mouvements des eaux et des sédiments dans la baie. Cette synthèse couvre les phénomènes océanographiques, hydrologiques et sédimentologiques ainsi que les mouvements sédimentaires et les évolutions des fonds en résultant au cours des dernières décennies.
Située au fond du golfe normand-breton, dans l'angle formé par la Bretagne et le Cotentin, la baie du Mont Saint Michel occupe une ancienne dépression d'environ 500 km2, orientée vers le Nord-Ouest, qui s' est progressivement comblée au cours de l'holocène, les dépôts accumulés depuis 8. 000 ans atteignant une quinzaine de mètres d'épaisseur. Largement ouverte sur la mer de la Manche entre la pointe du Grouin de Cancale à l'Ouest et la pointe du Roc de Granville à l'Est, cette baie est soumise à des marées exceptionnelles, atteignant 15 mètres d'amplitude en période de vives eaux, découvrant et recouvrant maintenant un estran démesurément large d'une superficie de 250 km2, se prolongeant vers l'intérieur par des zones basses conquises et aménagées par l'homme : marais de Dol, polders du Mont Saint Michel...
Au fond de cette grande baie, la « petite baie » du Mont Saint Michel, limitée par un alignement passant par le bec d'Andaine à l'Est et un point situé à 6 km à l'Ouest du Mont, vers Sainte Anne, forme un sous-ensemble de 60 à 70 km2 avec un caractère plus« estuarien» et plus complexe [Figure 1]. Le maintien d'un environnement maritime aux abords du Mont Saint Michel dépend de l' évolution de cette petite baie, avec les effets antagonistes du comblement inéluctable au cours des temps par des sédiments d'origine marine (sables, tangues ... ) de plus de 1 million de m3 par an, et l'action des rivières Sée, Sélune et Couesnon et des petits ruisseaux qui venaient remodeler les fonds en fonction de leur puissance hydraulique variable dans le temps en fonction du marnage et de leurs débits propres.
À ces phénomènes « naturels » s'ajoutent les « interventions humaines », que ce soit pour la conquête des terres sur la mer au cours du siècle dernier ou pour favoriser l'accès au Mont. Poldérisation de l'Ouest, digue de la Roche Torin à l'Est, rectification du cours des rivières et ruisseaux pour éviter qu'ils ne viennent éroder les terrains conquis ou à conquérir sur la mer, construction du barrage de la Caserne à l'embouchure du Couesnon, digue d'accès au Mont... allaient contribuer à faire progresser et à fixer les sédiments le long du littoral de part et d'autre du Mont en s'opposant aux divagations des rivières et ruisseaux dans cette zone et en protégeant les polders contre l'action des clapots et houles résiduelles susceptibles de les atteindre lors des grandes marées.
Le développement des « herbus » sur ces terrains exondés pendant une grande partie du temps -30 % seulement des marées atteignent la limite inférieure de la haute slikke (marées supérieures au coefficient 85) -va fixer progressivement le schorre qui sera envahi par un tapis végétal à spartina, salicornes, obiones ... donnant un aspect caractéristique à l'environnement du Mont Saint Michel. On estime qu'au cours des der-nières décennies, la superficie des «herbus», situés entre les cotes +6 et +8 m I.G.N., avait progressé en moyenne de 25 hectares par an, avec des fluctuations suivant les conditions océanographiques et hydrologi-ques et une lente réduction dans le temps. Toutes ces évolutions des fonds conduisent à enclaver le Mont Saint Michel au milieu des herbus et à le faire rentrer progressivement dans un contexte de « péril de la terre » préjudiciable à la beauté du site qui ne peut conserver son plein épanouissement que dans un environnement à caractère maritime où l' extrême douceur des grèves à l'état pur fait ressortir la beauté architecturale de l'Abbaye.
Rendre à ce lieu prestigieux une certaine insularité en maintenant aux abords immédiats du Mont des grèves soumises aux actions de flux et du reflux, sans détruire pour autant les terrains agraires que l'homme a eu tant de mal à conquérir sur la mer au siècle dernier, ni les possibilités d'accès d'un lieu hautement touristique, a été une des préoccupations depuis plusieurs années. L'inscription à l'UNESCO du Mont Saint Michel et de sa baie comme « patrimoine mondial » allait renforcer les recherches de solutions susceptibles de s' opposer à la « disparition de l'écrin naturel d'eau qui entoure le Mont et en fait son originalité »