L'ampleur et les conséquences de la déprise des terres agricoles donnent matière à discussion et parfois à polémiques dans les milieux professionnels ou chez les aménageurs; de fait, il s'agit d'un phénomène assez difficile à appréhender parce qu'en pleine évolution et très différencié d'une région à l'autre. Quoi de commun entre la friche caractérisée par un couvert en peau de léopard, de mauvaises herbes, de broussailles et ligneux et des terrains simplement mal entretenus et qui risquent, parce que difficiles à cultiver, de ne pas trouver de repreneurs ?
L'analyse des résultats des enquêtes conduites avec une méthodologie voisine dans le Pays d'Auge du Calvados et le Nord-Ouest de l'Eure (deux régions proches et assez semblables), fait apparaître certaines similitudes mais également deux situations sensiblement différentes :
-
dans les deux régions, les terres considérées par les agriculteurs (jurys communaux) "comme difficiles" se situent autour de 20 % de la superficie agricole ;
-
mais alors que la friche stricto sensu est encore peu présente dans l'Eure (2 % des surfaces), le processus d'enfrichement est déjà très avancé dans le Pays d'Auge. Sur la commune du Mesnil-Simon, les terres envahies par les mauvaises herbes (chardons, oseille...), les ronces et les ligneux couvrent 350 hectares : 37 % de la superficie communale. A noter qu'Epaignes, la seule commune de l'enquête de l'Eure vraiment concernée par la friche, se trouve précisément dans le Pays d'Auge et jouxte le Calvados.
Partant de ce constat, on peut se demander s'il s'agit de deux évolutions divergentes ou d'un même processus se manifestant avec quelques années de décalage ? Soulignons qu'en Normandie, la friche peut coloniser extrêmement rapidement certains terrains puisqu'elle ne s'installe pas nécessairement dans des sols pauvres ; elle gagne plutôt des terrains "difficiles à labourer", délaissés non en raison d'une médiocre fertilité, mais parce qu'inadaptés aux méthodes de l'agriculture intensive contemporaine. Les terrains et les haies limitrophes sont tout d'abord très mal entretenus par des agriculteurs devenus trop âgés, puis l'enfrichement s'engouffre à l'occasion de mutations qui traînent en longueur : terres libres et à louer pendant 1 ou 2 ans, nouveaux exploitants qui ne reprennent que les "meilleures" terres, propriétaires non exploitants (héritiers, résidents secondaires) dépassés techniquement et financièrement par la végétation spontanée...